CIRQUES D’AUTREFOIS
LE CIRQUE ANTONIO
Parmi les cirques aujourd’hui disparus, le Cirque Antonio occupe une place particulière. D’abord parce qu’il tourna essentiellement en Algérie, au Maroc et en Tunisie… mais aussi parce que ses propriétaires, M. et Mme Antonio Fattore, étaient des personnages attachants… Un cirque à qui L’Intermédiaire Forain puis L’Inter Forain ont consacré plusieurs articles lorsqu’il tournait en Afrique du Nord.
C’est fin 1925, à moins que ce ne soit début 1926, qu’Antonio Fattore monta cirque. A l’origine, l’établissement pris le nom de Cirque Continental, mais fut très vite (1 ou 2 ans plus tard) rebaptisé « Cirque Antonio », du prénom de son propriétaire. Et, pendant près de 40 ans (36 ans exactement), il tourna en Algérie, au Maroc, en Tunisie, et même en Libye, faisant aussi quelques incursions – en 1959, notamment - en Corse.
C’est dire si le Cirque Antonio était connu en Afrique du Nord, de Mascara à Alger, en passant par Fès, Oran, Tunis, Rabat, Tanger, voire aux « portes de désert », à l’oasis de Ouargla, où il n’hésitait pas à monter pour la Légion… A Alger, où il avait ses habitudes, il s’installait sur le champ de manœuvre ou encore le long de la caserne Pélissier, alors qu’à Mascara, c’était plutôt du côté de la place de l’Argoub…
Un banquiste éperdument amoureux de la France
Mais, revenons à Antonio Fattore. Né à Castelalone al Volturno, en Italie, le 25 février 1885, il était un pur banquiste qui prit très tôt la route, exerçant tour à tour différents métiers de la piste : équilibriste, voltigeur équestre, clown, dresseur… Autant de disciplines qu’il apprit au contact d’Alessandro Pierantoni, célèbre clown de l’époque dont on disait qu’il était le fils, alors que celui-ci ne fut sans doute que son « père d’élève » !
Pendant la Grande Guerre, Antonio Fattore, éperdument amoureux de la France, s’engagea dans la Légion Garibaldienne. Avec les « chemises rouges », il s’illustra en Argonne. Gazé et blessé du côté de Reims, en Champagne, il reçu la Croix de Guerre 1914-1918, et bien d’autres distinctions honorèrent son courage.
Une fois démobilisé, il revint tout naturellement au cirque, mais ses blessures de guerre l’obligèrent à abandonner la voltige équestre. On le retrouva alors au Cirque Caron (ou au Cirque Canadien) comme auguste du clown blanc Philippe Caron, puis à Medrano au début des années 20.
D’ailleurs, c’est chez Medrano qu’il rencontre Martha Schaeffer, une enfant de la balle, qu’il épousa en 1923.
Avant de rencontrer Antonio, Martha, d’origine allemande, fille d’Anita et Julius Schaeffer « leveurs et jongleurs de fonte », exécutait, dit-on, un numéro sur fil de fer. On la retrouva rapidement à ses côtés dans un numéro de dressage de chiens, avant d’exceller, seule, dans la présentation de poneys Shetland.
Du Cirque Continental au Cirque Antonio
Après leur mariage, elle travailla avec son mari. C’est ainsi que le « couple Antonio » rejoignit le Cirque Caroli pour une grande tournée en Afrique du Nord. Et, c’est là, dit-on – à l’occasion d’un gala de bienfaisance – que le maréchal Lyautey, ayant apprécié « Antonio et ses joyeux artistes » (ses chiens dressés), secondé par Martha, déclara : « Appelez-moi l’homme aux clebs, il mérite qu’on l’aide ! ». C’est ainsi que le couple Antonio « monta cirque ». D’abord avec le Cirque Continental, puis avec le Cirque Antonio…
Antonio Fattore qui, chapeau vissé sur la tête, promenait son cirque sur les routes ensablées d’Afrique du Nord, était un homme affable dont chacun vantait la jovialité et la convivialité. Un homme soucieux des autres, doté d’une solide poignée de main. Membre fondateur de l’orphelinat de Rabat, il était aussi membre honoraire de l’orphelinat de la police et de plusieurs œuvres sociales, et n’hésitait pas à se produire gratuitement pour certaines associations, voire à offrir la recette du jour. Du caritatif avant l’heure !
Côté distinctions, il n’était pas en reste puisque, outre le Croix de Guerre 14/18, il était titulaire de la Médaille militaire et de la médaille interalliée, Officier du Nicham Iftikar (Tunisie), Chevalier du Ouissam Alaouite (Maroc), etc. Excusez du peu !
Un cirque familial
Si le couple Antonio travaillait en famille, l’un et l’autre présentant des numéros, on trouvait aussi parmi leur parentèle, « des cousins italiens, les clowns Bobo et Cricri, qui ont aussi travaillé chez Zerbini. Ils se firent même appeler les « Pierantonis » » selon les souvenirs de M. Le Gloanec, Président régional du Club du Cirque pour les départements du Sud Est, lequel a bien connu le Cirque Antonio. Parmi les artistes qui furent aussi à l’affiche, citons le dresseur Bert Holt, et sa fille, Chrys (jongleuse) qui y fit ses débuts, enfant.
M. Le Gloanec, qui vivait à Alger à l’époque, précise que le Cirque Antonio s’est sans doute arrêté pendant la Seconde Guerre Mondiale. « Je l’ai vu pour la première fois en 1945, au champ de manœuvre, avec un petit chapiteau à deux mâts qui était de la toile militaire que les Bouglione leur avaient vendu » se souvient-il.
Un chapiteau qui, au fil des années, fut certes effleuré par quelques balles perdus et quelque peu bousculé par les événements, mais le spectacle ne s’est jamais arrêté, « multipliant les bons programmes et les bonnes actions », peut-on lire dans d’anciens numéros de L’Inter Forain.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’il fut aussi très actif pendant la Seconde Guerre Mondiale, prenant une part importante au débarquement allié en Afrique du Nord.
La Seconde Guerre mondiale
Ce que l’on sait moins, en effet, c’est le Cirque Antonio, contrairement à ce beaucoup croient, continua de tourner pendant la Seconde guerre mondiale. Ainsi, le 8 novembre 1942, le Cirque Antonio était à Alger… Rien d’étonnant à cela puisque le public était habitué à retrouver le chapiteau çà et là en Afrique du Nord. (un cirque voyageur, quelle belle « couverture » pour prendre des contacts un peu partout sans éveiller les soupçons !). Ce soir là donc, la soirée est rondement menée, mais personne, dans le public, ne s’en aperçut. Pas sur non plus que tous les artistes aient été au courant. La raison ? On la connaîtra bien plus tard… Antonio Fattore qui approche alors tranquillement la soixantaine fut – mais oui !- un des vrais et grands artisans du débarquement allié en Afrique du Nord. Or, ce débarquement eut précisément lieu dans la nuit du 8 novembre 42, l’Algérie et le Maroc ayant été choisis par le haut commandement allié pour ouvrir un deuxième front. Sur place, des hommes sûrs, efficaces ont œuvré dans l’ombre et la discrétion contre les forces de l’Axe. Il en était, mais sa légendaire discrétion faisait que de ce fait d’armes, il n’en faisait pas état, n’en parlait pas, comme si cela était naturel…
Les années Cinquante
En 1951, le couple Antonio fait imprimer sur ses affiches : « La renommée du Cirque Antonio n’est plus à faire. Cette année mieux que jamais !
Les lions et hyènes présentés dans la cage par 2 dompteurs, la cavalerie, 20 attractions, Excellent orchestre, de bons clowns ».
Antonio Fattore qui avait goûté à toutes les disciplines de la piste, était un dresseur de talent qui est entré dans la cage jusqu’au bout ou presque, présentant ses superbes lions de l’Atlas (Prince et Saïda) à crinière noire qui lui avaient été offerts par Mohammed V, roi du Maroc.
En 1959, au retour de sa tournée Corse, une lionne l’accrocha et le blessa, alors que c’était Prince qui était considéré comme le plus dangereux de ses bêtes. Mais très vite, Antonio Fattore reprit sa place dans le spectacle.
Dans les années 50, le couple Antonio, de passage à La Calle (El Kala), près de la frontière tunisienne, prend à sa charge la restauration de la tombe de Darius, célèbre dompteur forain d’avant-guerre, décédé dans cette ville quelques années plus tôt. Début 1955, alors qu’ils sont en tournée à travers l’Afrique du Nord, Antonio et Martha Fattore font parvenir 80 000 francs aux sinistrés d’Orléanville, victimes d’un terrible tremblement de terre quelques mois auparavant, comme ils le feront aussi quelques années plus tard pour les victimes du barrage de Malpasset (Fréjus).
En 1960, on trouve aux côtés du couple Antonio, Sampion (jongleur), les Gerys (cascadeurs), Esmeralda et Guy Lasso et leurs perruches dressées, les Victoria (main à main), mais aussi les clowns Guillermo et Remy qui n’étaient autres que Guy Lasso (premier mari de Gloria Lasso) et Raymond, le neveu d’Antonio.
1962, la fin du voyage
Celui qui tenait plus que tout à ce que ses programmes soient du vrai cirque, décéda à Bône (Algérie) en 1962, à l’âge de 77 ans. Dans le cimetière de la ville, son épouse fit élever un monument de pierre blanche sur lequel on pouvait lire cette épitaphe : « Un grand artiste, un homme universellement humain, Antonio, directeur de son cirque, arrête ici son voyage ».
Suite au décès de son mari et aux événements d’Algérie, Martha Fattore décide, non sans difficultés, de quitter le pays. Sa nationalité italienne, acquise par son mariage, lui permet alors – grâce à l’Ambassade d’Italie à Alger - d’embarquer animaux et matériel sur un cargo italien allant à Marseille, pensant reprendre les tournées en France. Ce ne fut pas le cas. On la retrouva, avec sa caravane, le matériel et les bêtes sur un quai du port phocéen. Elle y séjourna un certain temps dans l’attente de jours meilleurs…
Mais, rien ne se passe comme prévu… Démunie, son argent bloqué par le gouvernement algérien, reformer un cirque s’avérait très, voire trop compliqué ! Mme Antonio vend alors le chapiteau et quatre lionnes au Prince Reinier. Quelque temps plus tard, elle fait don à Gaston Deferre, maire de Marseille, de son couple reproducteur de lions de l’Atlas pour le zoo de la ville ». Le prince Rénier fait venir à Monaco, Raymond, le neveu d’Antonio, qui était chef monteur du cirque, mais aussi clown, trapéziste, etc., pour qu’il monte le chapiteau à Fontvieille (le Fontvieille d’alors) afin de l’admirer de son bateau. Un chapiteau sous lequel, dès 1962, le Prince organisait des soirées et des spectacles.
Quelque temps plus Raymond Fattore quittait Monaco pour s’installer à Aubagne, alors que Mme Antonio abandonnait les quais du port de Marseille pour installer sa roulotte rouge et bleue dans le camping de Marzagues. Celle qui fut une « attachée de presse » hors pair, n’hésitant pas parfois à prendre quelques libertés avec la réalité lorsqu’il était question de son mari – allant jusqu’à prétendre qu’il était le fils de l’illustre Pierrantoni !-, du Cirque Antonio, ou de ses artistes, allait alors de temps à autre visiter ses bêtes au zoo de Marseille. Cela, jusqu’en 1967, année où elle décéda en traversant la route alors qu’elle sortait du camping de Mazargues…