ALIEN : COVENANT
La petite bête qui démonte
Suite à une avarie soudaine, les membres d'équipage du vaisseau Covenant sont réveillés sur la route qui les mène, eux et un millier de passagers plongés dans un profond sommeil, vers la planète qui doit accueillir leur colonie. Ils en repèrent alors une autre, bien plus proche que leur destination programmée. Ce paradis promis révèle très vite de terrifiants secrets. Quarante ans après «Alien», Ridley Scott poursuit son lien avec la saga, renoué en 2012 avec «Prometheus». Il fait preuve d'un sens certain de la mise en scène et ose donner une explication rationnelle à la naissance des célèbres monstres (au risque d'en atténuer le mystère) mais il est bien difficile de frémir pour la survie de personnages caricaturaux. Michael Fassbender s'impose alors aisément avec son double rôle d'androïde. David, présent dans le précédent opus, est fasciné par la question de la création, Walter est une créature artificielle plus neutre. Autour de leur vision opposée de leur loyauté à l'humanité se joue le coeur d'un questionnement potentiellement passionnant sur la mortalité et comment un sentiment divin de supériorité peut naître lorsqu'on n'est pas bridé par une obsolescence programmée.
EMILY DICKINSON, A QUIET PASSION
Une écrivaine solitaire et impertinente
La poétesse Emily Dickinson (1830-1886) a vécu une longue partie de sa vie recluse dans la demeure familiale, avec ses parents, sa sœur Vinnie et son frère Austin. Terence Davies a choisi Cynthia Nixon de la série «Sex and the city» pour prêter ses traits à ce grand nom de la littérature américaine. Ensemble, ils rendent un hommage sensible à un tempérament indépendant qui s'est soustrait aux conventions de son époque. Elle a vécu une passion tranquille pour la littérature, écrivant ses poèmes dans le silence de la nuit. Une dizaine fut publiée de son vivant, preuve de la difficulté pour les femmes d'exister dans la société rigide du XIXe siècle en Amérique. Loin de tout cliché, elle est saluée pour son esprit acéré et une douceur dans son rapport avec les autres. Un éloge d'une rebelle hyper sensible, non pas parfaite mais sincère dans ses engagements, mais qui n'aura connu que peu d'élans du coeur, pour son art d'abord, pour un pasteur marié ensuite, refusant les sollicitations de rares prétendants. Un portrait vibrant d'une belle âme qui n'a pas pu vivre son rêve de reconnaissance de son vivant mais est entrée dans la postérité.
GET OUT
Noir, c'est noir
Chris Washington, afro-américain, accompagne sa petite amie Rose chez ses parents dans une demeure isolée à la campagne. Il est inquiet car elle ne les a pas prévenus qu'il est noir. Elle se veut rassurante mais l'atmosphère est tendue. Ses futurs beaux-parents tentent en vain d'atténuer ses craintes en lui disant qu'ils auraient volontiers voté une troisième fois pour Obama. Leur comportement se révèle de plus en plus troublant, tout comme celui de leurs deux domestiques, eux aussi noirs. Jordan Peele aborde la question de la condition de l'homme de couleur dans l'Amérique d'aujourd'hui en mêlant intelligemment pamphlet politique et cinéma d'épouvante. La mécanique du scénario est brillante, le mystère planant insidieusement sur la réalité de ce qui se trame en secret, avec un glissement patient de la satire mordante à l'horreur pure. Le propos social est pertinent sans être outrageusement souligné, avec une réflexion complexe sur la gêne réciproque dans les rapports humains selon les différences de couleur de peau. L'humour aide à faire passer un message hélas bien actuel sur les préjugés entre communautés. On tremble avec Daniel Kaluuya, héros malgré lui d'une étrange affaire.
LE CHANTEUR DE GAZA
La Nouvelle Star de Palestine
En 2013, Mohamed Assaf a fait sensation lors de la version arabe de la Nouvelle Star. Premier Palestinien de Gaza à participer à l'émission et à la remporter, il a fait la fierté de son peuple. Le réalisateur Hany Abu-Assad, nommé deux fois aux Oscars pour ses films engagés, raconte le destin de ce chanteur à la voix en or. La première partie est un feel good movie très proche de «Sing Street», avec ce groupe de pré-adolescents tentant de se faire remarquer en créant un groupe de musique. La suite est plus sombre, avec une réalité qui se rappelle à l’insouciance de l'enfance. C'est la sœur du héros, aventurière, insolente et libre, qui entraîne ses camarades. Véritable garçon manqué, elle porte cette introduction enjouée avant de passer le relais à son frère. Le réalisateur montre les terribles réalités d'un pays en crise mais évoque aussi des moments d'insouciance malgré les menaces constantes de représailles d'Israël contre les attentats du Hamas sur son sol. Premier film tourné dans la bande de Gaza depuis plus de 20 ans, cette tragi-comédie est marquée par l'idée que l'espoir peut toujours percer à travers le malheur, sans se laisser aller à un excès de mièvrerie.
MARIE-FRANCINE
Une nouvelle vie à cinquante ans
En quelques jours, Marie-Francine se fait larguer par son mari et perd son emploi de chercheuse. À cinquante ans, elle doit retourner vivre chez ses parents et s'installe dans le canapé-lit du salon, infantilisée et privée d'intimité. Inquiète pour son avenir, ils financent pour elle une petite boutique de cigarettes électroniques. Guère motivée par cet emploi, elle est une bien mauvaise vendeuse. Heureusement, l'amour vient frapper à sa porte. Valérie Lemercier se dirige dans cette comédie sur une situation difficile : comment quelqu'un qui croyait avoir réussi sa vie perd tout et risque de se retrouver à la rue. L'approche est humoristique mais le sujet possède un potentiel dramatique fort. Patrick Timsit incarne le charmant Miguel qui, comme elle, vit chez ses parents, dans son cas dans une loge de gardiens, partageant même son lit avec son fils. Lui non plus n'est pas très satisfait de son travail de cuistot dans un restaurant médiocre, lui aussi est célibataire. Malgré ce qui pourrait les rapprocher, ils ne parviennent pas à se dire toute la vérité, au risque de se perdre. L'actrice-réalisatrice nous fait passer un bon moment avec ce joli couple joliment croqué.
MESSAGE FROM THE KING
Un frère en colère
Jacob King débarque d'Afrique du Sud à Los Angeles pour retrouver sa sœur dont il n'a plus de nouvelles. Avec 600 dollars en poche et un billet d'avion retour une semaine plus tard, il est déterminé à la sauver. Quelques heures à peine après son arrivée, il la retrouve à la morgue. Il est en colère et rien ne pourra l'arrêter. Comme son personnage, le belge Fabrice du Welz s'est expatrié aux Etats-Unis pour un film de vengeance âpre, le tournage en pellicule donnant toute son ampleur à sa vision poisseuse d'une ville qui semble ne pas mériter son nom. Chadwick Boseman, remarqué dans le rôle de Black Panther dans «Captain America : Civil War, donne une performance retenue. La douleur de cet homme en deuil passe par un flash-back sur une enfance heureuse et par son regard perçant, qui annonce les futurs déchaînements de violence. Dans le cadre de son enquête, il croise une faune d'êtres douteux dont un dentiste charmant en apparence joué par Luke Evans alias Gaston dans «La Belle et la Bête». Une histoire sordide qui ne peut que se résoudre dans le sang et le désespoir, menée par un cinéaste qui apporte une réelle profondeur à une série B bien noire de très bonne facture.
Pascal LE DUFF