CINEMA
La Fille au bracelet
Accusée à tort ?
Lise Bataille, 18 ans, vit entre parenthèses depuis deux ans. Soupçonnée du meurtre de sa meilleure amie, elle est assignée à résidence dans l'attente de son procès. Elle révise son bac mais le bracelet à sa cheville lui rappelle constamment la réalité de sa situation. Ses parents la soutiennent mais rien n'est facile dans cette prison partagée... Stéphane Demoustier transpose le film argentin «Acusada» (sorti l'été dernier) dans un cadre français. Il se focalise un peu plus sur les parents incarnés par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni, meurtris par une situation qui leur échappe. Pour son tout premier rôle, Melissa Guers gère admirablement les silences liés à la personnalité d'une jeune femme prise dans un engrenage puissant. Guère enclein à se dévoiler, Lise apparaît forcément coupable, à l'image de «L'Étranger» de Camus moins condamné par les faits que par son attitude. Son silence l'accuse et la rigueur du scénario interdit de se faire une opinion définitive, laissant le spectateur face à ses questionnements judiciaires et moraux. Le regard de la société sur la sexualité des jeunes et les rapports entre générations sont au cœur de débats complexes.
Birds of Prey
la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
Harley Quinn n'est plus la petite amie du Joker. Désormais célibataire, l'égocentrique bagarreuse va protéger une adolescente pickpocket menacée par Roman Sionis alias Black Mask. Ce magnat du crime de Gotham veut retrouver un diamant de très grande valeur qu'elle a subtilisé. Une femme flic intelligente et intègre, une tueuse à l'arbalète en quête de vengeance et une chanteuse à la voix perçante rodent aussi dans les parages. Apparue pour la première fois dans «Suicide Squad», la volcanique et délurée Harley vole désormais de ses propres ailes. C'est un sens certain du spectacle qui émane de la prestation démesurée de Margot Robbie et de la mise en scène rock'n'roll de Cathy Yan. Le récit est savamment désarticulé, à l'image du mental pas très net de son anti-héroïne à l'amoralité délicieuse, comme déçue d'elle-même lorsqu'elle se comporte avec humanité. Ce divertissement ouvertement féministe apporte une dérision bienvenue au monde trop sérieux des super-héros DC. Cela fait d'autant plus de bien que le résultat est d'une drôlerie furieuse, malgré une violence extrême, notamment via les agissements coupables du cruel tueur incarné par un étonnant Ewan McGregor.
#jesuislà
Rêve de Corée
Stéphane tient un restaurant du Pays Basque qu'il a hérité de son père et qu'il gère avec son assistante Suzanne (Blanche Gardin, avec l'accent). Lassé de son quotidien, il discute tous les jours avec Soo, une Coréenne rencontrée sur internet. Sur un coup de tête, il prend l'avion pour la rejoindre à Séoul... Eric Lartigau retrouve Alain Chabat («Prête-moi ta main») pour ce qui aurait pu être une version franco-coréenne de «Lost in translation» mais dévie sur d'autres sentiers. Arrivé à l'aéroport, Stéphane ne voit pas Soo et décide de l'y attendre ! Il lui envoie des nouvelles sur Instagram mais ne reçoit pas de réponse. Têtu, mais sans malice, il se fait remarquer avec son hashtag #jesuislà, jeté comme une bouteille à la mer à l'élue de son cœur. Son entêtement aurait pu être détestable, mais Alain Chabat lui donne une fragilité qui le rend attachant. Si le récit est si touchant alors qu'il semble s'enliser, c'est dans sa façon de saisir ce moment dans certaines vies où ce qui compte n'est pas la destination mais le voyage intérieur. La star locale Doona Bae s'est prêtée avec grâce à un rôle qui aurait pu être ingrat mais dévoile des choses peu reluisantes sur les rapports entre hommes et femmes.
Aquarela - L'Odyssée de l'eau
Une nature déchaînée
Des automobilistes s'aventurent avec un excès de confiance sur le lac Baïkal en Sibérie, mais sont piégés par sa fonte anticipée. Une première voiture est libérée, avec plus de peur que de mal. D'autres seront moins chanceux... Après cette ouverture sur des sauveteurs venant en aide à quelques inconscients, ce documentaire devient vite plus expérimental. Victor Kossakovsky se refuse à la moindre contextualisation (ce qui est parfois frustrant), préférant se focaliser sur la majesté de ces eaux froides. Son dispositif à 96 images par seconde (au lieu des traditionnelles 24) accroît la sensation d'une immersion viscérale. Il faut se laisser porter par ce qui apparaît à l'écran, sur la musique hard-rock du Finlandais Eicca Toppinen. Ses mélodies donnent la chair de poule à ces images spectaculaires captant l'eau sous toutes ses formes, dans sa beauté comme dans sa dangerosité. Une aquarelle filmée, à voir comme une invitation au voyage dans le confort - et la sécurité - d'une salle de cinéma, doublée d'un terrible constat écologique. Vagues immenses, tempêtes et ouragans ne feront pas oublier ces animaux sauvages perdus sur des terres glacées en voie de disparition.
Jojo Rabbit
Adolf, un drôle d'ami imaginaire...
Jojo Betzler, dix ans, est un membre zélé des Jeunesses Nazies mais ne saisit pas la portée profonde de son engagement. Il s'entraîne avec ferveur en compagnie de son meilleur ami, sous la direction désabusée du capitaine Klenzendorf. Sa vie est chamboulée lorsqu'il découvre que sa mère Rosie cache une juive chez eux. Heureusement, son ami imaginaire Adolf Hitler va lui donner de précieux conseils... Six nominations aux prochains Oscars (dont une en meilleur film) ont accueilli cette satire qui rappelle «La Vie est belle» de Roberto Benigni pour sa façon de mettre en scène avec humour une indicible monstruosité. Cette variation plutôt sympathique manque de verve malgré quelques idées convaincantes. Scarlett Johansson est en lice pour un Oscar pour son rôle de résistante confrontée à la haine inculquée à son fils, grisé par la culture de la supériorité aryenne. Taika Waititi, qui a rendu Thor amusant grâce à «Ragnarok» se dirige lui-même en Führer bien particulier, visible seulement du petit Jojo Rabbit. Sam Rockwell est particulièrement réjouissant en officier moins médiocre qu'il ne semblait l'être au départ, d'abord franchement drôle puis plus touchant.
Histoire d'un regard
Un photographe sans cliché
Le journaliste Gilles Caron a disparu soudainement au Cambodge en 1970 alors que les Khmers Rouges commençaient leur règne de terreur. Il n'avait que trente ans. Devenu photographe comme par accident, il a su très vite s'imposer par une intuition qui lui a permis de devenir un témoin majeur des grands événements qu'il a couverts sur six années, dont la guerre des Six Jours, le conflit en Irlande du Nord ou le Vietnam. Marina Otero a plongé dans les 100 000 clichés qu'il a laissés derrière lui pour un documentaire passionnant, éloigné du portrait sagement hagiographique. Elle fait avant tout jaillir la pertinence de son regard et une grande humanité. À travers le temps, ces deux artistes sont unis par une compréhension manifeste de ce que raconte une image, concrètement comme symboliquement. En ouvrant son enquête en décortiquant une photo de mai 68 où Daniel Cohn-Bendit toise un policier, la réalisatrice signe une grande leçon de mise en scène. Avec cet exemple et d'autres, elle nous invite à comprendre comment il a su à plusieurs reprises trouver la bonne place au bon moment pour prendre des clichés permettant de faire comprendre la marche souvent désespérante du monde.
Pascal LE DUFF