Lady Bird
Journal intime d'une adolescente
Christine McPherson se fait désormais appeler Lady Bird au grand dam de sa mère avec laquelle elle ne cesse de se disputer. Alors qu'elle attend de savoir quelle université l'accueillera à la rentrée, elle vit ses premières amours. L'actrice Greta Gerwig («Frances Ha») a glané plusieurs nominations aux Oscars (dont film et réalisatrice) pour sa chronique de personnages fragiles en butte avec les aléas de la vie. Sur un ton faussement badin, Greta Gerwig capte la transition d'une adolescente vers l'âge adulte et se reconnaît manifestement en elle. Fixée sur son propre destin, elle semble sourde aux désarrois des autres mais apprend à les écouter et, par ricochets, à être plus attentive à elle-même. Le récit se fait plus universel grâce à la galerie de personnages imaginés par Greta Gerwig, réunis par leur mal être généralisé, joués notamment par la crème de la nouvelle génération, à commencer par Saoirse Ronan dans le rôle-titre, Lucas Hedges («Manchester by the sea») et Timothée Chalamet (à l'affiche aussi de «Call me by your name») en premiers soupirants. Une observation lucide sur la difficulté de trouver sa place dans la société et de la conserver, quel que soit son âge.
Call me by your name
Un été porcelaine
Italie, été 1983. Elio, 17 ans, est en vacances dans la villa familiale. Comme chaque année, son père, professeur d'université, invite un de ses étudiants avec eux. Elio se rapproche d'Oliver, intelligent, sportif et séduisant. Le réalisateur Luca Guadagnino capte l'éveil des sens d'un adolescent qui se cherche encore. Il dépeint avec pudeur et sensibilité une relation qui pourrait être dérangeante et ne l'est jamais. Dans l'indolence d'un été chaud, des émotions feutrées mais fortes se jouent sous nos yeux. La vérité des sentiments et des désirs contenus se dévoilent sur les visages de Armie Hammer et Timothée Chalamet et leurs regards qui dévoilent leurs tourments intérieurs sans trop en dire. L'écriture finement ciselée est signée du réalisateur James Ivory («Les Vestiges du jour») qui adapte avec délicatesse un roman d'André Aciman. On tremble pour ce beau duo qui expérimente des sensations universelles. Une belle œuvre qui parle tout simplement d'amour et de la peine qui l'accompagne parfois, celle qui vous fait grandir et apprécier d'avoir ressenti, quelqu'en soit le coût. Michael Stuhlbarg, père compréhensif en saisit toute la difficulté lors d'un monologue magnifique.
The Disaster Artist
Échec Story
Dans un cours de théâtre, le timide Greg Sestero fait la connaissance de Tommy Wiseau, grand échalas d'un âge indéterminé qui a un avantage sur son nouvel ami : celui de n'avoir peur de rien. Subissant échec sur échec lors de leurs auditions, ils perdent espoir. Tommy a soudain l'idée d'écrire et de diriger un film qu'il produirait en toute indépendance. Les ennuis ne font que commencer… Aucun réalisateur (espère-t-on) ne se lance dans un projet en se disant qu'il tournera un des pires films de l'Histoire du cinéma. C'est pourtant ce qui est arrivé à Tommy Wiseau avec «The Room» en 2003, nanar d'ampleur biblique, plombé par son incompétence devant et derrière la caméra. Ironie suprême, le scénario de cet échec annoncé est en lice pour l'Oscar de la meilleure adaptation ! Avec humour, James Franco réalise ce making-off a posteriori et s'octroie le premier rôle. Il imite à la perfection le chef d'orchestre sans égal à Hollywood de ce tournage improbable, comme en attestent les images «d'époque» en épilogue. Il signe un hommage décalé à un être étrange et paranoïaque, capté dans toute sa bizarrerie, jusqu'à son accent à l'origine indéchiffrable et à son phrasé bien personnel.
Eva
Une escorte bien mystérieuse
Bertrand Valade fait la rencontre d'Eva un soir de tempête. Fasciné par cette prostituée de luxe, il la revoit, cachant cette relation trouble à sa fiancée. Eva devient sa muse, et plus si affinités. Isabelle Huppert retrouve pour la sixième fois Benoît Jacquot après notamment «L'école de la chair» et «Villa Amalia» pour une adaptation d'un roman de James Hadley Chase, déjà mis en scène avec Jeanne Moreau en 1962. La présence singulière de Gaspard Ulliel lui permet de faire naître un malaise certain en écrivain prometteur au lourd passé. Il cherche à percer les secrets d'une femme totalement libre de ses actions qu'il tente de manipuler afin de trouver l'inspiration mais surtout pour le simple plaisir de jouer avec elle. Son entourage est victime de son obsession, comme si une malédiction pesait sur son péché originel. En ce sens là, «Eva» a toutes les qualités du film noir capable de marquer les esprits. Le cadre enneigé d'Annecy est un piège parfait pour des protagonistes qui ont tous des choses à se reprocher, sauf peut-être Eva elle-même. Elle ne révèle que ce qu'elle veut bien laisser percer à jour mais sa relative sincérité semble la protéger du pire.
Hostiles
Le dernier convoi
1892 au temps de la Conquête de l'ouest. Le capitaine de cavalerie Joseph Blocker doit escorter Yellow Hawk, un chef Cheyenne mourant, jusque dans ses anciennes terres pour y passer ses derniers moments. Meurtri par les massacres des peaux-rouges, guère enclin à s'interroger sur ceux commis par les siens, il n'accepte cette mission que contraint et forcé. Sa patrouille de cinq hommes est bientôt rejointe par Rosalee Quaid dont la famille vient d'être tuée par des Comanches. Christian Bale est le meneur de troupe de ce western intense, Rosamund Pike («Gone girl») la femme meurtrie. Les péripéties ne cessent de s'enchaîner alors que les protagonistes s'interrogent sur leur difficulté à aller au-delà de la haine de l'autre. Traqueurs et traqués sont montrés comme deux faces de la même pièce, celle d'une Amérique sans pitié dans laquelle chacun a une âme de tueur qui ne demande qu'à se déployer. Les quelques séquences contemplatives sont rapidement balayées par des scènes d'une brutalité extrême, symbole d'un pays miné par sa violence. Au-delà d'un brin de manichéisme, Scott Cooper touche juste dans sa représentation d'une sauvagerie partagée des deux côtés, nul n'étant exonéré de ses actes.
Tout le monde debout
Ça roule pour lui
Jocelyn, patron d'une grosse entreprise de chaussures de sports, est un séducteur compulsif qui fait tomber les femmes dans ses bras avant de les abandonner sans ménagement. Un concours de circonstances pousse Julie, la voisine de sa mère, à croire qu'il est handicapé. Attiré par la masseuse aux formes voluptueuses, il ne corrige pas le malentendu, espérant l'ajouter à son tableau de chasse. Elle veut en réalité le présenter à sa sœur en fauteuil roulant. Pour son premier passage derrière la caméra, Franck Dubosc fait évoluer ce personnage de dragueur lourdingue qui l'a rendu célèbre en soignant l'émotion au-delà des malentendus comiques. On rit beaucoup certes tout en s'attachant à cette jolie histoire d'amour entre ce menteur incorrigible et cette femme moins fragile qu'en apparences jouée par l'attachante Alexandra Lamy. Ses proches dont son docteur et meilleur – seul – ami (Gérard Darmon) et son assistante (Elsa Zylberstein, délicieusement burlesque) lui répètent «c'est pas bien ce que tu fais» mais il n'arrive pas à dire la vérité. Frank Dubosc mêle avec un bel équilibre l'humour et le supplément d'âme qui élève cette comédie romantique en vraie réussite du genre.
Pascal LE DUFF